L'ISF, la tyrannie des chiffres et le syndrome du lampadaire
Voici 37 ans que l’impôt sur la fortune génère des débats houleux dans la société française. Ces débats illustrent bien, de mon point de vue, l’aveuglement qui peut nous saisir lorsque les émotions prennent le pas sur l’analyse
“Il faut faire payer ces salauds de riches” d’un côté, “je me casse, j’en ai marre qu’on me pique mon pognon” de l’autre. Avec ce niveau de réactions, il devient difficile de légiférer en prenant en compte l’intérêt général, et il ne reste guère comme option que de verser dans une forme ou une autre de populisme.
Au contraire, l’analyse peut prendre le pas sur les émotions, avec par exemple les conséquences que nous avons vues pour Emmanuel Macron: en touchant à l’ISF, chargé de toute sa symbolique, à force de réfléchir avec sa tête et d’ignorer les tripes, il est devenu le “Président des Riches” et s’est cassé les dents sur les Gilets Jaunes.
On nous annonce aujourd’hui à grand fracas qu’une mission d’évaluation de la suppression de cet impôt va être mise en place… très bien !
Mais que vont faire nos nobles fonctionnaires de Bercy? Ce qu’ils font depuis 37 ans, ils vont compter. Mais compter quoi au fait: eh bien, comme tout ceux qui les ont précédés, ce qu’ils ont sous les yeux ou sous la main, cédant au bien connu syndrome du lampadaire !!
Pour ceux qui veulent un résumé, voici l’histoire du lampadaire : “ Un promeneur marchant à la nuit tombée aperçoit un homme courbé sous un lampadaire. Il s’approcha et lui demanda : Bonsoir, avez-vous perdu quelque chose ? Oui, j’ai perdu mes clefs ; lui répondit l’homme sous le lampadaire. Le promeneur, serviable, commence alors à chercher. Après quelque temps, il interroge à nouveau.
Etes-vous certain d’avoir perdu vos clefs à cet endroit ? Non, répond l’homme, mais au moins ici il y a de la lumière ! Cette propension à ne regarder que « là où c'est éclairé », à ne chercher que « là où c’est simple » est désignée sous l’acronyme de « syndrome du lampadaire ». Il reflète un attachement naturel de l’homme à prioriser la facilité, sa faiblesse à se cantonner aux éléments supposés acquis et son inclination… pour ses zones de confort. Le syndrome du lampadaire décrit la quête de simplicité mêlée à une insuffisance de pensée ”
Que vont donc calculer ces dames et ces messieurs les évaluateurs, comme leurs prédécesseurs depuis 37 ans ?
Eh bien ils vont calculer les impôts qui vont rentrer ou ne pas rentrer. On supprime l’ISF, ça fait 3,7 milliard d’euros de moins dans les caisses de l’état. L’IFI qui le remplace rapporte 1,2 milliards d’euros, çà ne fera que 2,5 milliards en moins. Cà, un enfant de sept ans y arrive!
Après ils se poseront la question de ce que ces impôts non payés peuvent néanmoins rapporter à l’état sous forme de TVA sur la consommation, investissements… et à ce stade ils vont pouvoir travailler nombreux et ergoter pendant un bout de temps entre eux…
Ils vont aussi dénombrer le nombre d’assujettis qui vont rentrer en France ou en sortir: et calculer avec un peu de chance les autres impôts (IRPP, TVA, etc.) que ces personnes auraient payé…. mais je parie ce sera la limite de la zone d’éclairage de leur lampadaire!
Quant à évaluer le cumul des effets des départs depuis 1982, ou des non-installations, il ne faut pas rêver… ça devient difficile à calculer, ce n’est pas dans la zone éclairée… et pourtant l’essentiel est là !!!
“il devient urgent de réfléchir et de moduler l’équilibre entre analyse et conviction”
En effet, le plus grave dans cette affaire pour moi est qui sont les personnes qui sont parties, pas seulement les vieux riches qui sont allé passer leurs dernières années en Suisse, mais tous ceux, entrepreneurs à succès notamment qui sont allé travailler et investir de préférence ailleurs que dans le pays qu’ils ont quitté; et dont les enfants vivront et travaillerons aussi ailleurs qu’en France.
Et c’est là les choses deviennent beaucoup plus graves! C’est d’une partie de son élite que la France s’est vidée, pas celle de l’Inspection des Finances qui fait des calculs sous le lampadaire, mais bien celle des entrepreneurs et des investisseurs qui, après leurs départs, n’ont plus payé d’impôts, consommé, et surtout investi, créé de la richesse, et enfin des emplois dont nous manquons tant!
Et là, le coût de l’ISF, même s’il n’est pas éclairé, ou même éclairable, devient gigantesque!!
Je l’affirme avec force: l’ISF et la cohorte de départs qu’il a engendré depuis 35 ans a porté un coup terrible à la compétitivité de mon pays. Je n’en fais pas une affaire de principe, ça ne me dérange pas que les riches payent plus d’impôts que les pauvres ! Mais j’enrage de voir les citoyens soumis aux calculs d’une cohorte de cerveaux à oeillères, qui travaillent sur un périmètre trop étroitement éclairé; et du coup ne sont pas alertés sur la véritable saignée qu’a subi le pays, alerte qui permettrait de réfléchir à des alternatives plus saines pour arriver à plus de justice sociale. Pourquoi ne pas envisager, par exemple, une hausse des droits de successions ?!
La dictature des chiffres, notamment ceux du Ministère des Finances nous étouffe.
Et ceux des économistes aussi! Que font-ils, ces économistes? De grands calculs dont ils sont absolument sûrs de la pertinence… sauf que n’étant pas d’accord entre eux, il doit bien y avoir la moitié qui se trompent… et même plus, puisque les politiques qui mettent en oeuvre leurs recommandations échouent plus souvent qu’à leur tour… donc çà donnerait qu’au moins les trois quarts se trompent, si ce n’est pas plus !
Mais aucun ou presque ne le reconnaît, ils sont sûrs et certains de leurs calculs, qui à défaut d’être toujours exacts, ne sont pas complètement faux non plus; alors pourquoi ces calculs mènent-ils donc à autant d’erreurs?
La réponse est en fait assez simple… l’éclairage de leur lampadaire est trop restreint et leurs modèles tournent sur du creux ! Et du coup la prétendue vérité qui sort de leurs calculs n’est pas pertinente par rapport aux questions posées.
Pire même, en prétendant faire primer la “vérité” de leurs chiffres, et donc l’analyse sur les émotions et les convictions, ils font l’impasse sur leurs propres convictions; or le choix de la zone qu’ils éclairent est fondamental dans les résultats qu’ils vont trouver! Et comme ils veulent ignorer la subjectivité de leurs propres choix, ils ne verrons pas les biais qu’ils introduisent eux mêmes dans leur travail, et ces biais n’en seront que plus pernicieux!
Dans ces conditions, il devient urgent de réfléchir et de moduler l’équilibre entre analyse et conviction. Comment, me direz-vous, la critique est aisée, l’art de la proposition est plus complexe!
Je commencerai déjà par vous répondre, suivant l’adage, qu’ “il n’y a pas de problème qu’on ne puisse résoudre, que ceux dont on nie l’existence”
Et je continuerai… mais dans mon prochain billet! …un peu de patience ;))